L’OCDE vient d’annoncer les résultats de l’enquête PISA menée en 2018 sur 600 000 élèves de 79 pays. Comme d’habitude, la France est mal classée (26e), et comme d’habitude toutes sortes de raisons seront avancées pour contredire, nuancer, ou nier ces résultats…

Il est tellement plus facile, quand on est malade, de casser le thermomètre pour ne pas accepter la maladie, se soigner et commencer à guérir. Je suis éditeur de manuels scolaires. Si j’ai créé la Librairie des Ecoles et adapté en France la méthode de mathématiques de Singapour dès 2008, c’est que j’avais déjà conscience à l’époque de la baisse continue du niveau en mathématiques dans notre pays. Je savais qu’il existait des méthodes meilleures que d’autres, des systèmes éducatifs plus équitables que d’autres, des pratiques pédagogiques plus efficaces que d’autres. C’est le même souci qui me pousse aujourd’hui à sonner l’alarme.

Solidité de l’enquête PISA et consensus scientifique

Tout d’abord, faut-il croire PISA ? Ma réponse est oui, bien évidemment. D’une part, ses résultats peuvent agacer, mais ils ne surprennent personne. Cela fait bien longtemps, sans doute, que vous pouvez constater une baisse du niveau de vos élèves en mathématiques, en français et en sciences. Quand on « plante » un examen, on le sent bien dès qu’on remet sa copie. La note ne vient que confirmer ce sentiment. Ce n’est pas PISA qui a révélé les problèmes de notre système éducatif : l’enquête n’a fait que valider, scientifiquement et avec l’appui de statistiques solides, ce que tout le monde savait déjà. L’enquête PISA n’est pas en effet un simple thermomètre. C’est un diagnostic complet assorti de prescriptions. Si elle fait aujourd’hui l’objet d’un consensus scientifique, c’est parce qu’elle repose sur trois principes : 1) Elle évalue les élèves en fonction de leur âge (15 ans) et non de leur classe. 2) Elle est reconduite tous les trois ans afin de contrôler l’évolution des systèmes éducatifs. 3) Enfin, elle mesure des compétences, des savoir-faire minutieusement sélectionnés, adaptés, traduits, pour ne pas sanctionner un pays par rapport à un autre. Ainsi, elle ne juge pas les connaissances des notions, propres nécessairement à chaque programme officiel de chaque pays, mais la manière de réfléchir des élèves. Pour prendre un exemple : PISA ne va pas vérifier si un enfant connaît la définition de l’adjectif attribut ou des propositions relatives, mais s’il a compris un texte qu’il vient de lire. Saura-t-il répondre à des questions qu’on lui posera sur ce texte ? En mathématiques, on ne lui demandera pas d’énoncer le théorème de Pythagore, ou la règle de trois, mais de résoudre des problèmes de la vie courante, etc. Enfin, quand bien même on contesterait la comparaison des systèmes éducatifs entre eux, ce n’est pas seulement par rapport aux autres pays que la France a décliné, mais par rapport à elle-même. En 2003, 17% des élèves évalués étaient en difficulté en mathématiques ; en 2015, ils étaient 23%. Parallèlement, la proportion d’élèves très performants diminuait, de 15% en 2003 à 11% en 2015. L’enquête menée en 2018 confirme ce résultat.

Quelles sont les prescriptions de PISA ?

  1. Regarder ce qui marche à l’étranger

C’est le postulat de départ de PISA : notre système éducatif peut progresser en s’inspirant des modèles étrangers. Les élèves singapouriens par exemple n’ont pas toujours été classés premiers, loin s’en faut : ils étaient même invisibles de tous les classements internationaux encore au début des années 90. Leur grande réforme des mathématiques, entamée au début des années 80, a produit des effets 15 ans plus tard qui portent toujours leurs fruits aujourd’hui. Quels étaient les principaux éléments de cette réforme, en mathématiques ? 1) une méthode explicite, rigoureuse, concrète et visuelle, et centrée sur le raisonnement mathématique ; 2) un programme officiel cohérent et pérenne, de la maternelle à la Terminale, qui n’a pas ou peu changé depuis le début des années 80 ; 3) une formation des professeurs solide, des salaires plus élevés qu’en France et de belles perspectives de carrière.
  1. Adopter des méthodes explicites et efficaces

Singapour a pris en compte cette dimension il y a plus de 30 ans. Comment ? Qu’est-ce que la méthode de Singapour ? Concrètement, il s’agit d’une collection de manuels allant de la maternelle à la 6e, originellement écrite par le Ministère de l’Education de Singapour dans les années 80. Dans cette méthode, chaque notion mathématique est présentée de manière concrète (par la manipulation de cubes, de jetons) puis visuelle (par des schémas) puis enfin abstraite (par les chiffres et les symboles mathématiques). Les leçons sont guidées par le professeur, de manière à rendre explicite chaque notion et à prévenir chaque difficulté. Enfin, le raisonnement mathématique est encouragé par la pratique ritualisée de la résolution de problèmes : les élèves associent ainsi les mathématiques à un exercice intellectuel enthousiasmant où chacun est libre de proposer des stratégies différentes. Un autre point, essentiel pédagogiquement, est révélé par William Schmidt[i], professeur à l’université du Michigan à partir de l’enquête PISA 2014 : paradoxalement, alors que PISA n’évalue, comme je l’ai écrit plus haut, que les mathématiques appliquées, concrètes, les élèves qui obtiennent les meilleurs résultats ne sont pas ceux qui ont consacré le plus de temps à pratiquer des mathématiques appliquées, au contraire, mais ceux qui ont fait le plus de mathématiques théoriques. Moralité : une méthode de mathématiques efficace, ne doit pas seulement être « concrète », « vivante », « proche du quotidien », elle doit mêler intelligemment théorie et pratique – comme c’est le cas de la méthode de Singapour. Au-delà des mathématiques, il est essentiel de profiter des études à grande échelle qui ont permis de mesurer l’efficacité de certaines pratiques pédagogiques. L’une des plus intéressantes de ces études, menée par le Néo-Zélandais John Hattie, réalise une synthèse de plus de 50 000 études, portant sur des millions d’élèves. Ses conclusions : les enseignants les plus efficaces sont ceux qui enseignent de manière explicite, méthodique, active, et contrôlent systématiquement les progrès de leurs élèves.
  1. Accompagner plus et mieux les professeurs des écoles

En France, la formation initiale est de 78 heures en moyenne pour les masters 1, et 30 heures en moyenne pour les masters 2. En comparaison, à Singapour elle est de 400 heures. Pour la formation continue, les professeurs des écoles singapouriens bénéficient de 100 heures par an, qu’ils peuvent librement répartir entre le français, les mathématiques, les sciences, etc. En France, la formation continue totalise 18 heures, dont, depuis la mise en œuvre du plan Torossian-Villani, 9 heures obligatoires en mathématiques. Mais la quantité d’heures ne suffit pas. Le contenu des formations est également un critère déterminant. Ainsi, plus un professeur a acquis et entretenu ses connaissances en mathématiques par ses formations initiale et continue, plus ses élèves progressent (Hanushek, 2005)[ii]. La formation initiale et continue des professeurs doit donc comporter un nombre significatif d’heures consacrés aux notions mathématiques elles-mêmes : nombres entiers, nombres décimaux, fractions, mesures… C’est bien dans ce sens que  vont les recommandations du plan Torossian-Villani avec la création d’une licence avec spécialisation pour le premier degré (recommandations 22, 23 et 24).
  1. Ouvrir les salles de classe

Dans ses recommandations à la France, PISA insiste sur la cohérence du projet pédagogique au sein de chaque école. Cela implique, chers professeurs, que vous vouliez bien ouvrir votre salle de classe et laisser vos collègues observer vos pratiques ! En France, traditionnellement, le professeur est seul maître dans sa classe : 8 enseignants sur 10 n’ont jamais assisté à un cours de leurs collègues, contre 5 sur 10 dans les autres pays (cf. enquête TALIS 2013). En France toujours, 77 % des élèves sont scolarisés dans des établissements sans programme de tutorat entre professeurs, contre 30 % en moyenne dans les autres pays de l’OCDE. C’est pourquoi le rapport Torossian-Villani préconise le travail entre pairs et en équipes (recommandation 25). Parmi les pratiques qui ont apporté la preuve de leur efficacité à l’étranger, le « lesson study » japonais (littéralement : « étude de cours ») permet aux professeurs, au sein d’un établissement, d’assister collectivement à un cours de leur collègue : ils peuvent ainsi observer les réussites et les échecs, en parler entre eux, et en tirer des leçons. Au Canada, le programme « Ontario teacher leadership and learning », mis en place en 2007, encourage les professeurs à échanger avec leurs collègues leurs expériences, soit par des conférences, soit par des classes « vitrines », soit par des classes virtuelles. 70 % des professeurs déclarent avoir progressé dans leur métier grâce à ce programme.  Au Japon et en Caroline du Nord, des programmes de tutorat entre professeurs ont été encouragés et mis en œuvre avec succès. A Singapour, les professeurs sont évalués chaque année selon une grille de 16 critères, dont l’accompagnement personnel de leurs élèves, la collaboration avec les parents et la coopération avec leurs collègues. Sans copier à la lettre ces modèles, très inhabituels pour les professeurs français, voici ce que je me permets de vous suggérer : choisissez-vous un binôme  – un collègue bienveillant, sur la même « longueur d’onde » –  filmez régulièrement vos cours et partagez avec lui ces enregistrements. Vous pourrez ainsi avoir un retour d’expérience immédiat sur vos pratiques et, inversement, vous inspirer de celles de votre collègue. Cette idée a été testée et éprouvée à l’Université d’Indiana (www.myteachingpartner.com, Willingham, Pourquoi les enfants n’aiment pas l’école, La Librairie des Ecoles, 2011)
  1. Se concentrer sur les matières fondamentales dès les petites classes

Une autre recommandation de PISA retient l’attention : centrer l’apprentissage, dans les petites classes, sur les apprentissages dits fondamentaux, c’est-à-dire le français et les mathématiques. Dès la maternelle, en effet, il est essentiel de consacrer le plus de temps possible aux activités qui préparent les élèves à l’apprentissage de la lecture (la reconnaissance des sons, ou phonologie) à l’écriture (le graphisme) et aux mathématiques (le dénombrement, les petits problèmes concrets, la manipulation).
  1. Faire plus d’efforts envers les élèves en difficulté

PISA fait un autre constat important depuis plusieurs années : quand les élèves issus de milieux défavorisés progressent, c’est l’ensemble du système qui s’améliore. Cet effet d’entraînement vertueux peut nous servir de modèle, car partout où il est expérimenté, les résultats sont là. En 2011, l’Angleterre a mis en place le programme « Pupil premium » (primes d’élèves) qui offre aux écoles des financements spécifiquement destinés aux élèves défavorisés. Les écoles sont, en contrepartie, tenues de publier en ligne la description de la façon dont ces fonds sont alloués, et d’évaluer leurs résultats. En Corée, les professeurs qui se consacrent spécialement à l’éducation des élèves défavorisés bénéficient d’incitations : primes de salaire, classes à effectif réduit, évolution de carrière. En Irlande, 50 000 familles de revenu modeste bénéficient d’un programme (HSCL) qui encourage un partenariat entre les familles et les écoles, afin de prévenir les difficultés d’apprentissage. De manière plus générale, n’ayons pas peur des évaluations. Certes, les maladies sont des faisceaux de symptômes, et il n’est pas toujours facile d’isoler une cause unique à un mal, ni le meilleur remède. Doit-on pour autant ne plus consulter de médecins, ne plus se soigner ? « La connaissance d’une autre culture devrait accroître notre capacité à évaluer plus précisément, à apprécier plus tendrement la nôtre », disait l’anthropologue Margaret Mead. Evaluer notre système éducatif, ce n’est pas renoncer à notre culture, nos traditions, notre identité. L’évaluation ne porte pas sur ce que nous sommes, mais sur ce que nous faisons. Nos pratiques peuvent toujours s’améliorer – c’est d’ailleurs ce que nous apprenons à juste titre à nos élèves – à condition d’y consacrer suffisamment d’efforts. Jean Nemo Directeur de La Librairie des Écoles [i] William Schmidt, PISA And TIMSS: A Distinction Without A Difference?, Albert Shanker Institute, 2014

[ii] E.A Hanushek, J.F Kain, D.M O’Brien, S.G Rivkin, The market for teacher quality, National Bureau of Economic Research workin paper n°11154, Cambridge, 2005