La guerre des méthodes, semble-t-il, est finie : les communautés éducative et scientifique s’accordent à dire aujourd’hui qu’il est essentiel d’enseigner de manière explicite les correspondances entre les phonèmes et les graphèmes avec une progression syllabique, et qu’il faut se débarrasser des méthodes mixtes et globales[i].Mais à peine un problème est résolu, un autre se pose !

La concurrence d’Internet, des jeux vidéos, de Netflix est si forte qu’il ne suffit plus d’apprendre à lire aux élèves, pour qu’ils aient accès à des connaissances solides et profondes : il faut leur transmettre l’amour des livres pour qu’ils préfèrent la lecture aux autres activités concurrentes.

En effet, la lecture demande un effort intellectuel  plus grand que des plaisirs plus immédiats (jeux vidéos, films, réseaux sociaux, séries…) – avec une récompense proportionnellement plus élevée ; or plus les enfants ressentent tôt la récompense de cet effort, plus ils seront enclins à persévérer dans la lecture toute leur vie durant.

Comment y parvenir ? Je vais vous donner quelques pistes un peu plus bas, mais d’abord, je suis très heureux cette année de vous proposer la méthode explicite de français pour le CP : nous l’avons conçue pour répondre à cette exigence – et à cette urgence.

 

Une méthode holistique

J’ai bien dit « méthode de français » et non « méthode de lecture » parce qu’il s’agit d’une méthode complète, qui a pour ambition de prendre en compte, de manière holistique, tous les aspects de la langue écrite et orale : le code alphabétique, bien sûr, mais aussi la compréhension, l’orthographe, le vocabulaire, la grammaire et, surtout, le plaisir de lire…

La principale originalité de cette méthode ?

Nous vous proposons un manuel à part entière pour l’étude de la langue, avec un cahier d’exercices.

Cela peut paraître exigeant et inhabituel, mais l’expérience de la méthode de Singapour nous a prouvé qu’un apprentissage explicite introduisant tôt des notions complexes – de manière simple et concrète – permettait d’en atténuer les difficultés les années suivantes.

Je vous propose de découvrir l’extrait de la période 3, lors de laquelle les enfants découvrent le nom. Vous verrez que tout y est très simple et adapté à des élèves de CP, qui pourront en lire l’intégralité des exercices puisqu’ils sont conformes à la progression syllabique que nous proposons en lecture.

Je suis curieux d’avoir votre avis : peut-on enseigner le nom, le verbe, l’adjectif de manière explicite à des élèves de CP ? Après avoir regardé nos extraits, écrivez-moi pour me dire ce que vous en pensez. Mon adresse mail est jean.nemo@lalibrairiedesecoles.com.

Et pour le plaisir ? Nous avons demandé à l’auteur jeunesse Yaël Hassan d’écrire cinq histoires entièrement décodables à la fin de chaque période. Décrochées des leçons quotidiennes, nous espérons qu’elles seront une récompense pour les élèves, qui pourront les lire pour leur seul plaisir.

 

Pourquoi voulons-nous que nos élèves aiment lire ?

Les bonnes raisons ne manquent pas pour souhaiter que nos élèves lisent : parce que lire régulièrement livres et journaux leur permet de devenir de meilleurs citoyens[ii], parce que la lecture rend plus intelligent[iii], parce qu’ils seront mieux insérés dans la vie professionnelle[iv] à condition qu’ils soient des lecteurs réguliers tout au long de leur vie…

Pour qu’ils le deviennent, il faut donc qu’ils choisissent de lire plutôt que de faire autre chose. Qu’ils aiment lire au point de préférer ouvrir un livre à Minecraft ou Star Wars !

Alors comment faire aimer la lecture à nos élèves ?

Les trois compétences d’un lecteur « expert » sont 1) maîtriser le code alphabétique, 2) comprendre les textes lus et, enfin, 3) aimer lire, et donc associer la lecture à des expériences agréables, positives, liée à des découvertes esthétiques ou intellectuelles. Comment y parvenir ?

Ces trois étapes, successives en apparence, sont en réalité à prendre en compte simultanément dès le CP. Les élèves qui maîtrisent le code au CE1 mais n’ont pas acquis la culture générale ou le vocabulaire suffisant décrochent au Cycle 3

; et les élèves qui n’ont jamais éprouvé le plaisir de lire de manière autonome à l’école primaire se détournent des livres au collège, parce qu’ils lui préfèrent d’autres loisirs.

 

  • Savoir lire

Maîtriser le code alphabétique, c’est connaître les correspondances entre les graphèmes et les phonèmes : d’abord savoir le son que produit chaque lettre (ou chaque graphème), puis connaître les règles et les exceptions, puis enfin comprendre la signification des lettres qui ne s’entendent pas.

Une bonne méthode de lecture obéit donc à un principe simple : les enfants ne doivent lire que des mots dont ils ont appris explicitement tous les graphèmes.

Au fur et à mesure que les élèves automatisent leur lecture, ils augmentent leur fluence – c’est-à-dire leur vitesse de lecture – et accèdent de plus en plus facilement au sens de ce qu’ils lisent. Simultanément, ils apprennent à écrire – à encoder- les lettres pour produire des sons, et ressentent le plaisir d’écrire des mots pour produire du sens.

Nous avons donc respecté cette progression syllabique dans notre manuel de lecture, en proposant un rythme d’apprentissage intensif (deux graphèmes par semaine).

Découvrez notre extrait de la période 3, et vous constaterez que, malgré les critiques parfois faites aux méthodes syllabiques, les élèves sont, dès le deuxième trimestre, en mesure de lire des textes longs, riches et amusants.

 

  • Aimer comprendre

Comprendre les textes lus nécessite tout à la fois de connaître le sens des mots déchiffrés (et donc de posséder le vocabulaire nécessaire), de comprendre le contexte dans lequel ces mots sont utilisés (et donc avoir appris explicitement à se poser les bonnes questions devant un texte), et enfin de relier ce texte à des connaissances antérieures pour y discerner les connaissances nouvelles (et donc de posséder les éléments nécessaires de culture générale).

Nous avons donc tâché de conjuguer ces trois exigences : dès le premier jour, vous pourrez lire chaque jour des histoires aux élèves, avec des personnages attachants et des contextes familiers, tout en leur enseignant explicitement des stratégies de compréhension.

Au fur et à mesure de l’année, ces stratégies de compréhension orale s’appliqueront aux textes lus à l’écrit par les élèves.

Un autre bénéfice de la lecture orale est de faire accéder les élèves à un vocabulaire et un niveau de langue sensiblement plus élevé que les textes qu’ils pourront lire au CP et même jusqu’au Cycle 3. Si cela vous intéresse, je pourrai vous proposer, dans une prochaine lettre un sujet qui me tient à cœur : Pourquoi et comment lire à des enfants de CP Victor Hugo, Kipling ou Prévert.

Nous proposons également des leçons systématiques de vocabulaire, dès la période 2, au cours desquelles les élèves seront amenés à utiliser des nouveaux mots en contexte, à réfléchir sur leur sens, leur morphologie, leur polysémie, etc.

Enfin, nous pensons que dès le CP, les élèves doivent ressentir le plaisir d’apprendre par la lecture en lisant des textes instructifs (vies d’inventeurs et d’artistes, mythes, contes, etc.) afin de se forger un début de culture générale. C’est ce que nous proposons pour les périodes 4 et 5.

 

  • Aimer lire

Aimer lire, c’est associer la lecture à une expérience agréable et qui en vaut la peine. Nous demandons beaucoup d’efforts à nos petits bouts de chou, au CP, pour mémoriser la forme visuelle, gestuelle et auditive des lettres. Eux, ils pensent naïvement et avec enthousiasme qu’ils sauront lire après quelques jours d’école seulement – et ils déploient toutes leurs facultés pour y parvenir.

Il est donc essentiel que l’apprentissage de la lecture soit patient et bienveillant.

Mon conseil : Aménagez, dans vos salles de classes (si ce n’est pas déjà le cas), des espaces de lecture dans lesquels les livres sont beaux, bien rangés, désirables, et des temps de lecture décrochés des apprentissages, au cours desquels la lecture sera associée à un moment de plaisir.

Nos élèves ont besoin, au début du CP, d’obtenir rapidement des récompenses en compensation de leurs efforts : la lecture doit les faire rire, les rassurer, les intriguer, les étonner. Puis, en fin de CP, à partir des périodes 4 et 5, la lecture doit les intéresser, les inspirer, les faire rêver, leur apprendre des choses nouvelles, sentir qu’elle les fait grandir.

C’est pour cette raison qu’à la fin de chaque période, nous proposons aux élèves des histoires originales, poétiques et drôles, qui mettent en scène deux jumeaux : Malo et Mila.

A ces textes ne correspondent aucun exercice, aucune évaluation, aucune activité, mais elles font partie du manuel. Nous espérons qu’ainsi les élèves pourront percevoir le plaisir gratuit, désintéressé de la lecture. Découvrez ici l’histoire de Malo et Mila pour la période 3.

Pour la même raison, nous avons attribué à chaque période un thème, afin d’accompagner les élèves dans leur volonté de grandir – promesse que leur fait l’école. La période 1 a pour thème l’école, la période 2  la ville, la période 3 la nature.

Les personnages récurrents (Eli, Lila, Lucas…) laissent place alors à des textes de culture générale.

Au cours de la période 4, les lectures racontent les vies édifiantes d’artistes et d’inventeurs : Mozart, Ella Fitzgerald, Berthe Morisot, Michel-Ange, Maria Montessori, les Frères Montgolfier ; et au cours de la période 5, le conte de Poucette et l’Odyssée d’Ulysse font l’objet de récits suivis, divisés en épisodes, qui permettent aux élèves de plonger dans des aventures passionnantes qui suscitent leur imagination.

Découvrez tous les extraits de cette méthode relatifs à la période 3 :

 

[i] Voir en particulier le dernier livre de Stanislas Dehaene : La Science au service de l’école, Ed. Odile Jacob, 2019

[ii] Bennett, Rhine et Flickhinger (2014)

[iii] Ritchie, Bates et Plommin (2014)

[iv] Card (1999) ; Moffitt et Wartella (1991)